L’année 2025 est une année de grâce pour l’Église universelle en tant qu’année jubilaire. Elle l’est en particulier pour l’Église famille de Dieu qui est au Bénin, qui célèbre, cette année, le 70ème anniversaire d’érection des deux premiers Diocèse du pays: Cotonou et Porto Novo. Son excellence Mgr Roger Houngbedji, archevêque de Cotonou et président de la Conférence des Évêques du Bénin, a accordé une interview à Afriquespoir dans le cadre de la célébration du Jubilé.
P. Canisius Metin, MCCJ.
Afriquespoir : Excellence, vous êtes archevêque de Cotonou et président de la Conférence des Évêques du Bénin. En cette année jubilaire au niveau de l’Église universelle, l’Église particulière du Bénin célèbre les 70 ans d’érection de ses premiers diocèses. Celui de Cotonou dont vous avez la charge et celui de Porto Novo, la capitale du pays. Quels sont vos sentiments?
Mgr Roger HOUNGBEDJI, O.P.: L’érection d’un diocèse est une marque de confiance de l’Eglise Universelle en la maturité de la portion du peuple de Dieu ainsi érigée en circonscription ecclésiastique autonome. Je rends grâce au Seigneur pour ces 70 années de marche, pour les prêtres missionnaires, le clergé local, les religieux et religieuses, les fidèles laïcs, les vaillants catéchistes et d’autres agents pastoraux ; dont l’engagement pour Jésus-Christ avait convaincu le Saint-Siège d’élever nos deux circonscriptions ecclésiastiques au rang de diocèses. Ainsi, tous, nous devons nous engager davantage pour que la mission principale, celle de prêcher l’Évangile à tous dans l’amour et dans la vérité, aille de l’avant. La raison d’être d’un diocèse est celle-là : non pas une simple subdivision administrative, mais un pôle de rayonnement de l’Évangile de Jésus-Christ, une communauté missionnaire qui prie, annonce et célèbre. C’est ce que nous devons travailler à être davantage, dans la diversité des états de vie et des responsabilités respectives. Mes sentiments sont également ceux d’un impérieux devoir d’appel à la responsabilité personnelle et communautaire. 70 années, c’est si peu, dans la vie d’une Eglise, même si c’est beaucoup sous un autre angle. Quelle marche avons-nous faite en 70 ans ? Quels progrès avons-nous pu, grâce à Dieu, accomplir ? Quels défis le Seigneur nous a-t-il permis de relever ? Aujourd’hui, ces questions se posent avec une urgence particulière. Le Jubilé n’est donc pas seulement une occasion de fête, mais aussi et surtout un temps de bilan et de prospective, pour que de nouvelles pistes soient ouvertes pour qu’au terme, l’Évangile de Jésus-Christ soit annoncé à des cœurs mieux disposés à le recevoir.
Afriquespoir : Excellence, le Bénin, votre pays, vient de loin. Il a totalisé plus de 160 ans d’histoire d’évangélisation. Aujourd’hui héritier et artisan de cette histoire, quel regard portez-vous sur cette traversée ? Mgr Roger HOUNGBEDJI, O.P.: Nous devons tous regarder les 160 ans d’histoire d’évangélisation de notre pays comme un temps de grâce. Notre Église au Bénin est encore très jeune, avec 160 ans sur les 2.000 ans de christianisme. Durant ces années, nous avons essayé de faire résonner l’Évangile dans nos contrées, travaillant à ce qu’il s’enracine et fructifie dans le cœur des hommes et des femmes. C’est une histoire très riche dont nous pouvons être fiers, même si le parcours est loin d’être parfait.
Afriquespoir: De quoi l’Eglise du Bénin peut-elle être fière? Mgr Roger HOUNGBEDJI, O.P.: Nous pouvons être fiers de nos missionnaires, eux qui, sans connaître ni la langue ni la culture, et bien conscients des dangers de mort en raison des maladies tropicales qui fauchaient leurs confrères et consœurs dès leur arrivée, avaient toujours de l’engouement à venir chez nous. Ils nous ont apporté l’Évangile au prix de leur vie, traçant ainsi un sillage lumineux pour nous aussi, appelés à ne ménager aucun effort pour la cause du Christ. Nous devons donc un hommage bien mérité aux Pères de la Société des Missions Africaines (SMA) et aux Sœurs de Notre-Dame des Apôtres (NDA), artisans des premières heures. Leur exemple nous enseigne qu’aujourd’hui, aucun effort ne sera de trop, aucun sacrifice ne saurait être écarté, aucune zone de confort ne saurait être ménagée ou sauvegardée quand il est question de travailler pour la cause du Christ.
Afriquespoir: Que peut apprendre l’Eglise du Bénin des premiers missionnaires? Mgr Roger HOUNGBEDJI, O.P.: Même si nos missionnaires ont commis quelques erreurs par leur ignorance de la culture et l’influence des mentalités dans lesquelles ils avaient baigné avant d’arriver chez nous, il nous faut aujourd’hui leur accorder le bénéfice de leur connaissance limitée et rendre grâce à Dieu pour leur courage apostolique. C’est ce que nous, aujourd’hui, nous devons imiter : ce courage apostolique, tout en travaillant dans le sens de l’inculturation pour que l’Évangile pénètre les cœurs et les cultures. L’héritage reçu est une responsabilité ! Nous avons aujourd’hui une très grande responsabilité devant l’histoire et devant l’Eglise Universelle. Pour utiliser une métaphore et sans aucune prétention, je dirais que notre Eglise au Bénin est encore à son âge patristique. La foi que les Missionnaires nous ont annoncée parfois au prix de leur vie, nous devons travailler à l’étendre pour qu’elle s’enracine dans nos cœurs et dans nos cultures. Car comme le dit si bien le pape François, ce que nous vivons n’est pas simplement une époque de changements, mais un changement d’époque. En effet, nous voici à une époque assez délicate, marquée par le « brouillage des repères et la confusion entretenue entre le cultuel et le culturel. En effet, en raison de la porosité des frontières entre les différents groupes sociaux, l’identité chrétienne est artificiellement mise en conflit avec l’appartenance culturelle, puisque le Christianisme est abusivement taxé de ‘religion importée’ » (Cf. Mgr Roger HOUNGBEDJI, Article sur le pèlerinage biblique (in La Croix du Bénin). Face à cela, notre prédication, nos actions et notre témoignage de vie doivent converger et contribuer à mettre l’accent sur le fait que le Christianisme n’est pas une religion importée, mais plutôt une « Religion Révélée » à travers la Parole que Dieu adresse à toute l’humanité, donc à nous aussi. Si Jésus a fait connaître Dieu, comme le dit Jn 1,18, celui qui a littéralement «expliqué» (ἐξηγήσατο) Dieu, serions-nous, nous Africains, exclus de cette Révélation? Aussi avons-nous la tâche, de faire avec courage une véritable apologie de notre foi comme les Pères apologistes d’autrefois. Même si les statistiques qui font état du progrès numérique de nos communautés chrétiennes constituent un motif légitime de satisfaction, nous devons rester attentifs à la courbe de croissance des autres communautés religieuses, et plus encore à la courbe difficilement perceptible de la qualité de la foi telle que comprise et vécue. Donc pour moi, les 160 ans signifient action de grâce mais aussi et surtout engagement renouvelé.
Afriquespoir: Donc un appel à devenir, à notre tour, une Eglise missionnaire? Mgr Roger HOUNGBEDJI, O.P.: Oui, car nous avons les défis liés à l’auto-prise en charge de nos communautés, l’éducation des jeunes et des enfants au sens de co-responsabilité dans un esprit synodal. Quand je parle d’auto-prise en charge, ce n’est pas seulement une collecte de fonds opérée chez les fidèles pour financer la pastorale. C’est aussi et surtout notre capacité de trouver des solutions locales pour relever le niveau de vie matérielle de nos fidèles, et les rendre capables à leur tour de contribuer à la vie de l’Église. Il est vrai qu’hier, nos communautés étaient habituées aux missionnaires qui, grâce aux aides qui leur arrivaient de leurs pays de provenance, pouvaient financer les divers besoins de la mission. Aujourd’hui, nous devons être, nous-mêmes, nos propres missionnaires, selon une heureuse expression de Saint Paul VI à Kampala : Ce ne sera pas seulement en ayant nous-mêmes nos propres agents pastoraux, mais en pourvoyant nous-mêmes aux besoins de nos communautés, sans oublier de nous organiser pour venir en aide à d’autres Églises plus nécessiteuses dans d’autres parties du monde : c’est une exigence de la catholicité. Or nous vivons dans un contexte où l’injonction « donnez-leur vous-mêmes à manger » (Lc 9,13) résonne avec un écho particulier. En effet, nous ne pouvons pas rester insensibles aux différentes situations de pauvreté, voire de misère de nos fidèles et des populations en général, même les non chrétiens.
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