Par Lwanga Kakule
Léonie Kandolo travaille depuis vingt ans dans la société civile congolaise; elle est aussi consultante dans diverses organisations, notamment, la Banque Mondiale et le PNUD. Elle est l’une des leaders qui ont préparé les marches du Comité Laïc de Coordination –CLC-, qui exigeait, entre autres, l'organisation des élections de décembre 2018 en RD Congo. Cette militante des droits de la femme partage ses convictions à Afriquespoir.
Comment avez-vous commencé votre lutte pour les droits de la femme ?
Ma lutte, c’est surtout pour la justice, notamment en faveur des femmes, qui souffrent de beaucoup de formes d’injustices de par la culture, l’accès à l’éducation, à l’emploi, etc. Je crois qu’elles ont besoin d’un appui beaucoup plus fort. Cette lutte m’intéresse parce que je pense qu’il est important de chercher la justice pour que toutes les citoyennes et les citoyens jouissent des mêmes droits dans ce pays qui appartient à nous tous.
Quelle est la situation actuelle de la femme congolaise?
Si nous jetons un regard sur les lois du pays, la situation de la femme congolaise est globalement bonne. Mais, c’est l’application de ces lois qui pose problème. Il y a quelques avancées actuellement, mais elles sont encore faibles. Par exemple, c’est la première fois que nous avons 17% de femmes dans le gouvernement, mais comme notre Constitution parle de la parité, les femmes devraient être représentées à 50%. Aujourd’hui, nous avons quand-même des femmes intègres et compétentes; malheureusement, très peu d’entre elles sont nommées pour de grands postes dans les institutions de l’Etat. Il faudra donc associer davantage de femmes dans la prise des décisions en RD Congo.
Une plus grande représentativité de la femme dans les institutions du pays signifie-t-elle une bonne gouvernance?
Jusqu’à présent, nous n’avons pas de statistiques pour évaluer si les femmes gouvernent mieux que les hommes. Mais ce n’est pas normal que 52% de la population ne soient pas représentés dans les instances de prise des décisions. Nous remarquons, néanmoins, que dans plusieurs organisations où les femmes tiennent la caisse, par exemple, les choses marchent bien, car les femmes ont la capacité de faire des miracles avec très peu. Nous voyons cela aussi, tous les jours, dans nos ménages.
Au niveau de la gouvernance étatique, il faut apporter une nouvelle vision parce que, quand il y a des femmes et des hommes, les approches ne sont pas identiques. Par exemple, quand on parle du développement, de la santé publique, de l’agriculture, les deux partenaires abordent la question de façon différente. Lorsque les deux approches cohabitent, elles améliorent la gouvernance.
Dans vos interventions à travers les médias et les conférences, souvent vous accusez les coutumes africaines d’empêcher l’épanouissement de la femme. Comment justifiez-vous cela?
Il y a des coutumes qui pèsent sur les femmes; elles ne sont pas légales. Quand mon mari était décédé, je m’étais rendu compte que, si la femme n’a pas de convictions personnelles et n’est pas consciente de son importance dans la famille et dans la société, elle se fera totalement mangée par la coutume, car cette dernière lui impose beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec la situation actuelle. Aujourd’hui, les femmes sont de plus en plus éduquées et cela leur permet d’avoir une meilleure vision sur leur émancipation. C’est seulement à travers l’éducation que nous pouvons faire changer les mentalités puisque, pour qu’une personne change, il faut qu’elle sache le bien-fondé de ce changement. Par exemple, pour comprendre sa santé reproductive, la femme doit avoir un minimum d’éducation. Je crois que tout cela va changer avec le temps, mais il faut l’implication des femmes elles-mêmes, des leaders communautaires, religieux et coutumiers pour inverser les coutumes qui piétinent les droits de la femme. Je crois aussi qu’il faut éduquer les hommes puisqu’ils doivent comprendre et interagir avec les femmes, dans les couples, par exemple.
Un groupe de femmes en liesse dans une fête à Kinshasa.
Photo: Lwanga Kakule
La femme dans le milieu rural souffre plus du poids de la coutume. Et dans les milieux urbains?
Il ne faut même pas aller au village pour comprendre la situation de la femme. Ici même à Kinshasa, tu écoutes certains parents qui te disent, par exemple: «Pourquoi ma fille doit aller à l’école si après elle doit se marier?» Pour eux, la fille est faite seulement pour le mariage. Ils ne voient pas autre chose en elle. Je pense que le poids de la coutume ne se vit pas seulement dans le village. Dans les villes aussi il est senti. Les cas de grossesses précoces, par exemple, vous les enregistrez même ici dans la capitale. Et cela freine le développement de la femme tant sur le plan intellectuel, social qu’économique. En plus, cela est contre la loi qui dit que tout homme qui a une relation sexuelle avec une fille de moins de 18 ans commet un viol. Et quand on parle des filles-mères, je me demande où sont les garçons-pères, car l’enfant est toujours le produit de la rencontre entre deux personnes.
Quel serait, selon vous, le rôle des médias en ce qui concerne la femme?
Les medias sont le reflet de la société. Elles doivent véhiculer des images positives de la femme et donner un nouvel élan à son combat. Souvent dans les médias, spécialement à la télévision, dans les films ou les pièces de théâtre, la femme est stigmatisée. Nous assistons souvent à des sketchs où elle est banalisée. Nos medias doivent donner des images positives de la femme africaine et de l’homme africain et montrer des relations entre les hommes et les femmes qui soient constructives. Il faut que les images des vedettes à la télévision et au cinéma soient positives puisque nous vivons dans des pays qui ont besoin de se reconstruire. En effet, la RD Congo n’est pas seulement la danse, les bars, etc. Il y a aussi des intellectuels, des hommes et des femmes capables, et qui font des choses positives. Je crois que les médias peuvent aider dans le changement de mentalité et l’amélioration de la situation de la femme.
Parlez-nous de votre engagement dans l’organisation des marches du Comité Laïc de Coordination en 2017.
Mon expérience au sein du CLC m’a apporté beaucoup; mais, en même temps, c’était une très grande épreuve pour moi. Dès la première marche que nous avions organisée, un mandat d’arrêt avait été lancé contre nous, les organisateurs. Il nous était impossible de rentrer à nos domiciles respectifs. L’Eglise, pour nous protéger, nous avait logé dans un endroit secret, d’où nous ne pouvions ni sortir ni recevoir des visites. J’ai même eu de graves problèmes de santé à cause de la vie en la clandestinité pendant une année et 26 jours dans un endroit, bien que confortable, fermé.
Ce n’était pas un combat personnel. Je l’ai fait parce que j’aime mon pays et je voudrais un changement. Je l’ai mené pour que demain les enfants de la RD Congo aient une vie meilleure et que nous apprenions tous qu’un pays ne peut se développer que si les lois sont respectées. J’estime qu’il est injuste qu’une seule personne possède des milliards de dollars alors que des millions de congolais vivent dans la souffrance. Je crois énormément qu’en faisant le bien aux autres, je me suis fait du bien.
Un groupe de femmes participent à une célébration eucharistique dans une paroisse de Kinshasa.
Photo: Lwanga Kakule
Je suis reconnaissante envers l’Eglise Catholique et les organisations internationales, qui nous ont soutenus dans la lutte. C’était des jours physiquement et psychologiquement pénibles; mais, vu les résultats que nous avions obtenus, notamment l’application de l’accord de la Saint-Sylvestre, notre sacrifice valait la peine. Les élections avaient été organisées, les prisonniers politiques ont été libérés, les exilés politiques sont rentrés au pays et il y a eu alternance au sommet de l’Etat.
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