Alors que les Nations Unies poursuivent leur interminable saga sur la réforme du Conseil de sécurité (CSNU). L’une des anomalies politiques qui revient sans cesse est l’absence de l’Afrique parmi les cinq membres permanents (P5) alors que le continent africain se compose de 54 États et d’une population totale de plus de 1,4 milliard de personnes.
Thalif Deen
Le 7 février 2024, le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres a mis l’accent sur la réforme du Conseil de Sécurité lorsqu’il a déclaré aux délégués: «il est totalement inacceptable que le continent africain attende toujours un siège permanent». Et d’ajouter: «Notre monde a de grands besoins: la réforme du Conseil de Sécurité, la réforme du système financier international, l’engagement significatif des jeunes dans la prise de décision, un Pacte numérique mondial pour maximiser les avantages des nouvelles technologies et minimiser les risques et une plate-forme d’urgence pour améliorer la réponse internationale aux chocs mondiaux complexes».
Le nerf central du pouvoir de l’Onu
Le Conseil de sécurité est l’un des six organes principaux de l’Organisation des Nations Unies créés par la Charte de l’Onu. Celle-ci lui confère la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Il se réunit en permanence et à tout moment en cas de menace contre la paix. Maintenir la paix et la sécurité internationales ; développer entre les nations des relations amicales ; réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux et en encourageant le respect des droits de l’homme ; être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes sont autant les nobles objectifs que les Nations veulent atteindre. Selon la charte de l’Organisation, il appartient au Conseil de sécurité d’endosser la responsabilité principale quant au maintien de la paix et de la sécurité internationale. Tous les États Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de Sécurité. Alors que l’autorité des autres organes de l’Organisation se limite à faire des recommandations aux États Membres. Le Conseil de sécurité est seule habilité à prendre des décisions qui obligent les États. Il se compose de 15 membres, dont cinq membres permanents: Chine, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni, et 10 membres élus par l’Assemblée générale pour un mandat de deux ans. Etre membre permanent confère à l’état la respectabilité, la puissance et la garantie de pouvoir protéger ses intérêts grâce à son droit de veto. Ce dernier est utilisé pour protéger les alliés des membres permanents et pour empêcher ou bloquer les opérations de maintien de la paix ou d’imposition de la paix de l’ONU.
António Guterres, en faveur
Un privilège a été accordé uniquement aux États-Unis, au Royaume-Uni, à la France, à la Chine et à la Fédération de Russie comme membres fondateurs des Nations Unies. Répondant à une question lors d’une conférence de presse organisée dans le cadre du Sommet du Sud en Ouganda, Antonio Guterres a critiqué ce qu’il a appelé «une injustice évidente et une injustice flagrante, le fait qu’il n’y ait pas un seul membre permanent africain au Conseil de Sécurité». Selon lui, l’une des raisons est que la plupart des pays d’Afrique n’étaient pas indépendants lorsque les institutions de l’ONU ont été créées. «Mais dans des déclarations publiques récentes, j’ai vu que les membres permanents étaient favorables à la présence d’au moins un membre permanent africain. Les États-Unis l’ont dit, la Fédération de Russie l’a dit, la Chine a été positive à cet égard, le Royaume-Uni et la France aussi». «Ainsi, pour la première fois, j’ai l’espoir qu’une réforme au moins partielle du Conseil de Sécurité des Nations Unies soit possible pour corriger cette injustice flagrante et pour que l’Afrique ait au moins un membre permanent au Conseil de Sécurité». Mais ce n’est pas garanti, a-t-il averti, car rien ne dépend du Secrétaire Général. «Cela dépend exclusivement des États membres, de l’Assemblée Générale, mais pour la première fois, je pense qu’il y a des raisons d’espérer». Par ailleurs, la région Amérique Latine et des Caraïbes (ALC), qui compte plus de 670 millions d’habitants, 12 pays latino-américains et 21 territoires autonomes, principalement dans les Caraïbes, n’a pas non plus obtenu le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Le Professeur Martin S. Edwards, de l’Université Seton Hall à New Jersey, affirme: «Je pense que nous devrions parler sérieusement des questions de représentation au sein du Conseil de Sécurité, mais le défi consiste à passer de la rhétorique à une proposition sérieuse ».
Injustice envers l’Afrique
Répondant à une question lors d’une conférence de presse le mois dernier, le porte-parole des Nations Unies, Stéphane Dujarric, a déclaré que l’opinion du Secrétaire Général reflétait celle de beaucoup de gens. «Il s’agit d’un continent entier, où se déroule en fait une grande partie du travail des Nations Unies en matière de paix et de sécurité, et aucun État membre de ce continent ne siège dans l’organe qui discute et décide des politiques relatives à la paix et à la sécurité». Il a continué en parlant de l’injustice envers ces pays qui étaient d’anciennes colonies et qui ont été pénalisés deux fois, d’abord en étant colonisés et ensuite en n’étant même pas présents à la table des négociations lorsque l’architecture du système multilatéral a été discutée. « Il appartient aux États membres de décider de la réforme du Conseil de Sécurité et de la forme qu’elle prendra ». Pour Purnima Mane, ancienne Secrétaire Générale adjointe et directrice exécutive adjointe du Fond des Nations Unies pour la Population (UNFPA), le regret du secrétaire général face à l’injustice de l’absence d’un seul membre permanent africain du Conseil de Sécurité ouvre un débat de longue date sur la pertinence du cadre original utilisé pour la nomination des membres permanents du Conseil de Sécurité. Selon elle, la discussion sur la pertinence des membres permanents actuels du Conseil de Sécurité n’est pas nouvelle, mais qu’elle n’a pas vraiment évolué. La question de la pertinence, dans le monde moderne, d’un statut de membre permanent fondé sur des raisons historiques a été quelque peu contournée en établissant la possibilité d’un statut de membre non permanent. «Le Secrétaire Général (SG) a déclaré que chacun des cinq membres permanents actuels avait exprimé son ouverture à ce changement, mais qu’il ne serait pas facile de parvenir à des règles de mise en œuvre claires».
Des questions lancinantes
Beaucoup de questions pertinentes se posent vis-à-vis de cette réforme à venir dont celles qui regardent «les règles actuelles de composition du Conseil de Sécurité, les postes de membres permanents qui seront créés, l‘appartenance au Conseil de sécurité, sera-elle assignée à des pays spécifiques ou elle se fera sur une répartition régionale, le processus de détermination du pays qui bénéficiera de ce privilège: - du statut perpétuel ou tournant… ?». Mais, il ne faut pas oublier que la volonté des cinq membres permanents de donner suite à ce que le Secrétaire Général qualifie d’ouverture à l’entrée d’un pays africain dans ce cercle, ainsi que la réponse d’autres régions qui n’y sont pas représentées, à l’heure actuelle. En outre, si les processus de l’Onu sont d’habitude longs et complexes, le chemin vers un changement dans le modèle d’adhésion le sera forcément et suscitera la résistance de certains pays. « Si la question de la justice et de l’équité est soulevée, les pays membres de l’ONU pourraient bien remettre en question la pertinence, dans le monde d’aujourd’hui, de la nécessité de maintenir les raisons historiques de la création du statut de membre permanent du Conseil de Sécurité », fait valoir Purnima Mane. Cela ouvrira certainement la porte à une définition plus large de l’appartenance au Conseil de Sécurité, remettant en question la hiérarchie des privilèges qui pourrait être considérée comme injuste dans le monde d’aujourd’hui, de plus en plus multipolaire.
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