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R.D. Congo : Photographie de la réalité socio-politique

  • 20 septembre 2020
Par Jean-Claude Kobo

 

Kinshasa : Des congolais célèbrent la « Journée Nationale d’action de Grâce » à l’initiative du président Félix Tshisekedi le dimandhe 23 juin 2019, a lieu au Stade Des Martyrs, à Kinshasa. Photo: Twitter Présidence RDC.
 
 
Depuis le 22 juillet 2020, l’Etat d’urgence décrété, en mars 2020, pour endiguer l’expansion de la Covid-19, a été levé avec la reprise des activités en trois étapes, dont la réouverture des frontières à partir du 15 août. Oser prolonger indéfiniment l’état d’urgence allait faire basculer le pays dans une véritable révolte tant le peuple était asphyxié. En effet, non seulement la situation du pays était exsangue économiquement, et l’est encore aujourd’hui, mais aussi le peuple n’en pouvait plus, pour sa survie. Elle vit au jour le jour alors que la pandémie s’inscrit dans le temps. Aussi, le gouvernement insiste sur le respect strict des mesures barrières, car le coronavirus n’est pas encore éradiqué. Depuis lors, la vie publique a repris normalement.
 

Situation économique
La situation économique du pays est dramatique. Pendant l’état d’urgence, l’économie du pays était à l’arrêt, les ouvriers ayant été obligés de rester à la maison, parfois privés de leurs salaires. S’en est suivi une dévaluation du franc congolais, une inflation galopante des denrées de première nécessité et parfois à des spéculations injustifiées. Le dollar est passé de 1.650 francs à 2.000, son taux actuel, entrainant une flambée des prix sur le marché sans que le pouvoir d’achat des ménages ne change. Beaucoup d’initiatives sont envisagés pour relancer la machine économique du pays dans l’agriculture et d’autres secteurs capitaux vitaux du pays. 
Par ailleurs, beaucoup de crimes ont été révélés, dans les régies financières (DGDA et DGI), les entreprises publiques, dans le secteur minier, etc. Par exemple, à la douane, seulement à cause des exonérations illégales, le pays perd 5 milliards de dollars par an. Pour preuve, le gouvernement vient de décider de fermer les ports illégaux qui pullulent dans le pays. Au même moment, l’on apprend qu’à Matadi, capital de la province du Kongo Central, la douane vient de bloquer 560 conteneurs d’une grande Dame du régime passé. Cette dernière est propriétaire de l’entreprise « Egal » qui depuis 2013, n’a jamais payé les taxes douanières. Ces conteneurs sont bloqués jusqu’à ce que l’entreprise précitée paie la somme de 800 millions de dollars, l’accumulée des taxes non payées depuis 2013.
Dans les mines, beaucoup d’entreprises dans ce domaine ne paient pas les taxes. Avec les enquêtes de l’inspection des finances, 9 entreprises viennent d’être sommées de payer 1 milliard chacune au trésor public. Dans ce même domaines, le mandataire en mines, maître Constant Mutamba, président de la NOGEC, une plateforme membre du Front Commun pour le Congo, a publié une tribune le 31 août 2020, dans laquelle il estime que la Rd. Congo enregistre un manque à gagner de près de 100 milliards de dollars chaque année. Ces deux exemples ne sont que la tête de l’iceberg de l’antimonde que le pouvoir passé a créé dans le Congo pour dissimiler des crimes crapuleux qu’il a commis. De sommes qui font rêver le maigre budget voté pour cette année (à peine 10 milliards) et qui risque de ne pas être atteint faute de moyens, de la Covid-19 et de l’insécurité grandissante que connaît le pays.
 


Un groupe de femmes dans une rue de Kisangani, en RD Congo.
 
 
Instauration de l’«Etat de droit»
C’est un idéal politique et social dont tout pays rêve, le Congo en particulier. Faire de la loi la mesure, le centre et le critère de la construction du savoir vivre ensemble et du bien commun. Au Congo, cet état de droit viendra d’une volonté de changement collectif. Le cardinal Fridolin Ambongo vient de le rappeler dans une messe célébrée dimanche passé : «le Congo changera quand le cœur du congolais changera».  C’est peut-être à juste titre que le président vient de réveiller la justice pour qu’elle joue son rôle comme il le faut. Pendant les deux dernières décennies, la justice était utilisée pour opprimer les faibles et les opposants au régime. Il a consacré l’impunité et la prime aux criminels oubliant que « la justice élève une nation».
Depuis quelque temps, des signaux forts sont lancés à l’égard de ceux et celles qui ont systématiquement pillé et détruit le pays, en se servant de leur position politique et économique. Après la condamnation de Vital Kamerhe, directeur de cabinet du chef de l’état, beaucoup de personnalités politico-militaires et administratives sont mises en cause pour différents crimes qu’ils ont commis. Certaines sont déjà en prison. D’autres par contre défient la justice se prévalant de la notoriété qu’ils auraient acquise de par les rôles qu’ils ont assumés au pouvoir de l’ancien régime, parfois en toute médiocrité.
Le président qui a annoncé au début de son mandat de ne pas fouiner dans le passé s’est vu obligé de le faire, car une bande des criminels et de bandits, encore à la tête du pays,  avaient pris le Congo en otage jusqu’à le privatiser pour leurs propres intérêts égoïstes. Dans une économie aussi criminalisée, le gouvernement vient de réveiller un service spécial pour lutter contre les malversations financières, les détournements et le blanchiment d’argent : l’Inspection Générale de Finance (IGF), dont la mission principale est de surveiller étroitement la chaîne des dépenses publiques, les régies financières, les services d’assiette, les entreprises de l’Etat et celles des gouvernements provinciaux sur toute l’étendue du pays. Pour rappel, cette agence était interdite, par deux décrets de deux premiers ministres (Muzitu et Matata) de faire leur travail normalement.
Mais le nouveau pouvoir aura du mal à asseoir concrètement l’Etat de droit dans un bref délai du moment qu’il cogère le pays avec ceux qui sont responsables de la ruine de ce pays sur tous les plans. Les inspecteurs financiers trouveront sur les chemins de leur travail des entraves énormes vis-à-vis de ceux qui ont pillé le trésor publics et qui se retrouvent encore aux commandes de celui-ci. Néanmoins, la volonté du changement qui se dégage des forces du changement et du président lui-même, a besoin du soutien de tout le peuple.
 


Le directeur de cabinet du chef de l’Etat, Vital Kamerhe prend la parole pendant le procès dit de 100 jours le 25 mai 2020 à Kinshasa.  Photo. Lwanga Kakule.
 
 
Situation politique
La situation politique du pays est caractérisée par des crispations interminables. La coalition, contre nature, au pouvoir gouverne le pays dans un « je t’aime, moi non plus ». Depuis le début, les intentions des uns et des autres ne sont pas sincères. On y perçoit méfiance et coups bas. C’est une coalition de façade. A travers les médias, leurs propos sont marqués d’une acrimonie étrangère à toute cohabitation pacifique de ceux qui veulent bien travailler ensemble. Visiblement le FCC ne veut pas que les choses changent positivement pour que le crédit ne soit accordé au président. Il veut que le président actuel échoue pour qu’il soit vomi du peuple. Alors qu’ils gouvernent ensemble, il ne comprend pas que l’échec ou la réussite de l’un, les sont aussi pour l’autre. En outre, le FCC n’a jamais caché ses intentions de reprendre le pouvoir le plus tôt que possible. Aussi, différents plans sont concoctés pour destituer, de n’importe quelle manière, le président. Les coups d’état constitutionnels manqués illustrent bien nos propos. Depuis lors, le camp présidentiel, qui veut conserver ses acquis, semble aussi utiliser les prérogatives qui lui sont dévolues pour faire assoir durablement son pouvoir. Les dernières ordonnances de la présidence de la république (17 juillet 2020) portant nomination au sein de la magistrature et de l’armée sont un camouflet contre le FCC. Comme on peut le constater, dans tous les deux camps, l’heure est à la recherche des stratégies pour faire tomber l’autre. A l’étranger par contre, le président Tshisekedi jouit d’un soutien diplomatique manifeste et d’une bonne presse qu’il tient à conserver.
 


Les représentants de la classe politique, toutes tendances confondues, de la société civile et des chefs des confessions religieuses engagés dans la recherche du consensus autour des réformes électorales, reçu par le chef de l’Etat le 14 sept. 2020. Photo: Twitter Présidence RDC.

 
Situation sociale
La pauvreté que vit le peuple congolais n’est plus à décrire. La pandémie de covid-19 vient de donner un sacré coup à la débrouille du peuple et aux efforts du gouvernement de changer le vécu quotidien de la population. Il faut dire que depuis l’avènement au pouvoir du président Félix Tshisekedi, très peu a changé dans le social du peuple. Des querelles politiques qui animent la classe politique, le peuple est le grand perdant, malheureusement. Il est même contradictoire de voir que des efforts, parfois, sont fournis pour que rien ne change dans la vie sociale du peuple. Les entreprises publiques ne créent pas d’emplois. Ailleurs, les travailleurs  et fonctionnaires des entreprises publiques connaissent des arriérés des salaires de plusieurs mois. Et dans le secteur privé, dominé par des étrangers dont les indo-pakistanais, qui contrôlent l’économie du pays, les travailleurs sont sous-traités et mal rémunérés.
Les salaires des fonctionnaires ont connu des majorations légères. Malheureusement, la dépréciation du franc congolais par rapport au dollar a nettement neutralisé le pouvoir d’achat du panier de la ménagère. L’état d’urgence a été levé avec la reprise des activités comme les écoles et les universités. Dans cet angle, l’enseignement secondaire et universitaire ont repris en dent de scie. Pour éviter une année blanche qui aurait eu des conséquences fâcheuses sur les  parents et les enfants, le gouvernement a décidé que pour les classes montantes, une moyenne soit calculée pour décider du passage ou non de classe. Les finalistes viennent de finir les examens d’Etat.
Quant à la pandémie de la covid-19, les mesures barrières sont à peine respectées par l’ensemble de la population qui sous-estime la menace que représente cette maladie. Cette attitude est soutenue par le fait que la maladie n’a pas eu les mêmes effets néfastes ici comme ailleurs. Mais dans le silence, la covid-19 existe. Il convient de bien se protéger pour ne pas se laisser emporter par cette tempête.
 


Kinshasa: Une dame au marché de Ngaba. Photo: Lwanga Kakule.
 

Situation sécuritaire
La sécurité du pays est, plus que jamais et volontairement, menacée par les ennemies de la République. La coalition au pouvoir est loin d’être pacifique. A cause des intérêts politiques, les acteurs politiques sont prêts à incendier le pays. Le FCC l’a toujours promis. Des éminents hommes politiques de ce camp politique ont promis d’incendier le pays ou d’immobiliser le soleil pour défendre leurs membres qui sont inquiétés, à juste titre, par la justice. Beaucoup de lieutenants politiques de tout bord distillent des propos irrespectueux et haineux vis-à-vis des uns et des autres.
En outre, ces derniers temps, des propos tribaux, xénophobes et même sécessionnistes sont véhiculés sur la voie publique pour mettre à risque la cohésion sociale. On a vu un ex-gouverneur appeler les originaires d’une province à se mettre ensemble pour récupérer le pourvoir. Des drapeaux d’une prétendue République du Kivu ont été hissés au sud et nord Kivu. Les balubas sont devenus une cible d’invectives de ceux qui s’opposent au pouvoir de Tshisekedi. A l’Est, les infiltrations des populations des pays voisins continuent. La contre bande minière est aussi signalée avec la saisie, à deux reprises, des cargaisons de coltan dissimilé dans des camions citernes en partance pour le Rwanda.
Sur le plan militaire, l’accalmie qui a marquée l’arrivée du président de la République au pouvoir se volatilise de par la recrudescence des attaques des groupes rebelles qui tuent sans pitié et impunément. Les tueries ont repris de plus belle. Derrière tout cela, il y a des tireurs de ficelles qui manipulent les esprits faibles pour déstabiliser le pays. Ainsi des foyers de tensions et des actes criminels s’observent partout même dans les coins les plus pacifiques. L’objectif poursuivi est celui de rendre le pays ingouvernable pour prouver l’incapacité du numéro un du pays à présider aux destinées de la République. Est-ce que les changements qui viennent d’être opérés dans l’armée et  les services de sécurité endigueront les velléités des groupes armés qui continuent à tuer à l’Est du pays ? Le futur nous en dira long. Mais, il ne faut pas oublier que notre armée est infiltrée. En plus, les pays frontaliers sont aussi source de la déstabilisation du pays.
 


Butembo, Nord-Kivu : Deux jeunes en pleine conversation. Photo: Lwanga Kakule.
 

Situation religieuse
Le 15 août 2020, avec l’ordonnance qui avait levé l’Etat d’urgence, les Eglises ont repris leurs activités et leurs célébrations en suivant les directives données par les gouvernements national et provincial. A l’ouverture de ces activités, on a assisté à un grand engouement des chrétiens pour participer aux célébrations. Les mesures barrières sont souvent bousculées. Aussi, les messes ont été augmentées dans les paroisses urbaines pour n’en priver aucun de ceux qui veulent bien participer à ce rendez-vous dominical. L’Eglise en outre n’a cessé de participer aux initiatives qui concourent à trouver des issues pouvant garantir la bonne marche de la vie politique du pays. Elle a participé au processus de la désignation du candidat président de la CENI. Il faut signaler ici que les agendas politiques ont dû piéger ce processus que l’Eglise Catholique s’y est mal prise. Ce qui lui a attiré beaucoup de critiques. En effet, le processus de la désignation des animateurs de cette commission devait être précédé des réformes préalables. Mais la présidente de l’Assemblée Nationale a induit les confessions religieuses en erreur en plus de la corruption qui a été constatée au niveau des églises de réveil, partie prenante à cette démarche. En outre, le secrétaire général de la CENCO, l’abbé Donatien Nshole a participé au forum organisé au Centre Nganda, à l’initiative des 13 parlementaires, pour des réformes institutionnelles dont la loi électorale, la CENI et certains articles de la constitution sur le mode du scrutin à deux tours, etc. Cette initiative est à l’arrêt, la coalition au pouvoir ne l’ayant pas endossé, regrettent les organisateurs.
 

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